L’Alpha et Aurora

RORY

"Rory !"

Une femme d'une quarantaine d'années déboule dans ma chambre comme si elle pensait me trouver endormie un jour d'école.

Elle se reprend quand elle aperçoit ma silhouette habillée : je me coiffe les cheveux devant le miroir.

"Bonjour, maman." Je lui réponds avec un doux sourire joyeux, en espérant lui remonter le moral avec ma bonne humeur.

Mais son visage sombre ne bouge pas, cette grimace indéfiniment collée sur son visage ainsi que ses rides et marques d'âge et de fatigue.

Ses mèches brun pâle aux pointes usées volent librement, visiblement négligées. Ses yeux quasi-onyx glissent sur moi alors qu'elle fait le tour de la chambre, la trouvant parfaitement rangée, le lit bien fait.

"Bonjour Rory." Elle me salue avec un petit sourire perdu qui traduit la fatigue de sa vie.

Elle me prend la brosse des mains et commence à tresser mes cheveux auburn avec ses mains calleuses.

"Comment ça va à l'école ? Je sais que je n'ai pas été beaucoup là cette semaine, mais tu peux me parler de n'importe quoi. C'est quoi ce bleu sur ton bras ?"

"Je suis tombée du lit ce matin. Rien d'extraordinaire. Je reste à l'écart des autres, comme d'habitude."

Dans le miroir, elle regarde le sourire élégant qui orne mon visage, manifestant la gratitude que j'ai à son égard.

Ma maman m'a trouvée à trois ans, morte de froid et abandonnée dans les bois sauvages hantés à quelques kilomètres du territoire de la Lune Rouge.

C'est une louve Omega elle-même, et j'ai toujours su que je n'étais pas sa fille de sang, mais elle m'a toujours traitée comme telle. Mais je suis humaine. Dans une meute dominante.

J'ai toujours été en marge : plus faible, moins bien, qui ne méritait rien.

Quand j'étais enfant, les chiots de la meute me harcelaient chacun leur tour, en volant mes affaires, en me poussant entre eux parce qu'ils souhaitaient se vanter de leur force, en me provoquant avec des mots méchants.

Quand nous sommes tous devenus plus vieux, ma maman a décidé que ce serait mieux pour moi d'aller dans un lycée humain, en dehors de la meute, où je serais relativement normale.

Bien sûr, j'étais encore plus faible que les autres au lycée, puisque je suis plus petite, moins musclée, à vouloir être amicale avec tout le monde.

Mais j'adore l'école : mes amis, les professeurs et les cours.

Alors que je marche dans les couloirs remplis, le son des groupes de filles qui gloussent et des footballeurs qui se jettent la balle avec une facilité relaxée qui m'englobe complètement, Freya sautille jusqu'à moi avec un enthousiasme bouillonnant.

Je trébuche sur mes propres pieds. Quelques rires se dirigent vers moi alors que je retrouve mon équilibre, et je baisse la tête en rougissant un peu.

"Ma fille, tu es vraiment maladroite," s'exclame Freya avec un gloussement, enroulant son bras autour du mien alors qu'elle me guide dans le hall tout en m'aidant à garder l'équilibre.

J'ai été une enfant maladroite depuis aussi longtemps que je puisse m'en souvenir, et depuis aussi longtemps que maman me connaisse. Ce qui ne fait qu'ajouter aux tortures que je reçois de la part des loups adolescents de la meute.

"Rory, bébé, salut, et Freya, salut." Eddie nous salue avec un large sourire adorable. Comme c'est un membre de l'équipe de crosse et un grand lecteur, je me suis entichée de cet athlète littéraire.

Ce qui m'a surprise, c'est quand il a dit qu'il ressentait la même chose et m'a demandé de sortir avec lui.

Prise d'un élan, comme toute fille qui apprend qu'un amour est réciproque, j'ai accepté, et nous sortons ensemble depuis un mois, depuis le début de notre année de terminale.

Il pose un léger baiser sur mes lèvres et passe son bras sur mes épaules.

Toujours en essayant de comprendre ma maladresse incontrôlable et inévitable, je lui donne un coup de coude accidentel dans le torse alors que j'essaie d'attraper quelque chose dans mon sac et ceci crée un réel chaos dans le couloir.

Eddie rentre dans une autre fille, qui se met à crier alors qu'il lui tombe dessus et grogne en roulant au sol.

Je n'ai pas beaucoup de force, mais comme Eddie est fin et pas très musclé, il est facile à pousser.

Je trébuche sur son pied et manque de tomber, mais je suis sauvée par les bras de mon amie Bethany, la fille la plus populaire de l'école.

Son petit-ami glousse un peu à côté d'elle en voyant la scène, puis aide Eddie à se relever.

"Salut Rory, Eddie," dit Oliver avec un sourire amusé, entouré comme d'habitude par ses coéquipiers.

Freya se dépêche d'aller à son casier avant l'assemblée matinale, un peu timide quand elle se retrouve devant les garçons qui la maltraitaient avant.

Ils me harcelaient aussi quand nous venions de nous rencontrer, mais ils ont arrêté vite, pour une raison que je ne connaîs toujours pas. Mais nous nous entendons bien.

Au moins, c'est mieux que les comportements hostiles que les loups de la meute me réservent.

"Rory, c'est mon anniversaire demain et Bethany organise une fête. Tu veux venir ?"

"Oh, je ne peux pas, désolée. J'aide ma mère. Mais joyeux anniversaire !" dis-je avec un grand sourire. Les gars à côté de lui ricanent dans leurs barbes alors que Bethany semble réprimander son petit-ami.

Même s'ils pensent tous que je ne comprends rien, je sais qu'il y a un motif caché à sa question.

Mais j'adore le lycée. C'est le seul endroit où j'ai l'impression d'être à ma place dans mon monde de loups.

"C'est dommage," répond-il, en faisant semblant d'être déçu. "J'espérais que tu serais un peu moins sainte-nitouche cette année."

"Arrête." Eddie le réprimande, se plaçant devant moi pour me protéger et collant son torse contre Oliver.

Avec un rire, Oliver refuse de reculer, en pensant qu'il a le dessus.

Normalement, ils ne me dérangent pas à moins d'être provoqués. Mais j'ai été martyrisée par des loups, donc leurs attaques verbales me passent presque au-dessus de la tête.

Ça m'est passé au-dessus de la tête de nombreuses fois, cependant Bethany m'a toujours défendue, sa réprimande étant aussi un signe qu'ils se moquent de moi.

Mais l'école est une échappatoire à la meute, du monde des loups, et c'est pour ça que j'y tiens encore plus.

"C'était sympa de te voir." Je lance, en écartant Eddie du groupe, alors que leurs rires distants se moquent de nous.

J'ai remarqué que si je réponds aux attaques avec quoi que ce soit d'autre que du calme et de l'impassibilité, le harcèlement continue plus longtemps. Même si ce n'est pas une technique qui marche très bien avec les loups.

À l'heure du déjeuner, Freya, Skye, Eddie et moi nous installons à notre table habituelle, plongés dans une conversation.

Parfois Bethany nous invite à sa table, mais Freya l'évite à tout prix.

Moi, je veux bien manger n'importe où.

Dans la meute, maman étant une Omega, les loups les plus faibles de la meute et moi, une humaine, nous mangeons les restes.

Depuis que l’Alpha Nickolas a pris la succession de son père, les membres les plus faibles ont été négligés. Mais pas à cause de son ignorance, à cause de sa mentalité de "survie des plus forts".

"Et si nous faisions quelque chose après les cours ? Ou que je te raccompagnais chez toi ?" me demande Eddie, espérant une réponse positive.

Être membre de la meute signifie que je ne peux pas passer du temps en dehors de la meute à part pour l'école. Ce qui rend le fait de sortir avec quelqu'un de l'école, et non pas de la meute, très difficile.

Je suis surprise qu’Eddie soit aussi patient avec moi. Je ne suis allée à un rendez-vous avec lui qu'une seule fois, et j'ai annulé toutes les fois suivantes.

Je me dis qu'au lieu de refuser l'offre directement, il faut que j'accepte de temps en temps puis que je lui dise que j'ai un imprévu. Mais ça ne fait que créer plus de culpabilité.

"Je ne peux pas, je suis désolée. Il faut que je rentre aussi vite que possible et ma mère ne sait pas que nous sortons ensemble donc tu ne peux pas me raccompagner." Je lui dis, même si les mensonges me brûlent l'estomac.

Ma maman sait qu'Eddie et moi sortons ensemble, mais pour m'assurer qu'il reste loin de la communauté des loups, c'est mieux qu'il ne la rencontre pas, pour l'instant.

Nous ne sortons ensemble que depuis un mois, donc je ne pourrais pas lui faire ça. Je le ferai si je l'aime et que je veux être avec lui.

Après tout, je ne suis pas louve-garou, donc nous pourrions toujours quitter cette vie. Eddie croit que ma maman m'a interdit de sortir avec qui que ce soit, qu'elle surprotège son enfant.

Il ne sait pas encore que je suis adoptée, d'une certaine façon.

Quand ma maman m'a trouvée en territoire sauvage, j'étais salement blessée et elle pensait que j'allais mourir.

Tout parent qui abandonnerait un enfant dans ces bois ne devrait jamais pouvoir le retrouver, dit-elle.

Et honnêtement, même si je me suis demandé comment étaient mes parents biologiques, je n'aurais pas pu trouver une mère plus aimante.

Eddie acquiesce sans en avoir envie, baissant la tête d'un air déçu. Je l'embrasse sur la joue en espérant lui remonter le moral, et ça fonctionne.

Même si mentir est nécessaire dans ma vie, ce n'est pas facile de faire ça aux gens à qui je tiens.

Mes amis, Eddie, mes professeurs.

Quand mes devoirs ont mystérieusement disparu avant que je puisse les rendre - la meute qui me tourmente toujours - je suis obligée de mentir et de subir la punition.

Bien sûr, je supplie pour que les colles soient posées sur l'heure du déjeuner, ce qui me coûte du temps passé avec Eddie.

Autant je peux me plaindre du lycée, autant j'ai l'impression d'être à ma place ici.